04 avril 2023 · Hémicycle
Explication de vote
Proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite
Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs,
En préambule de mes propos, je souhaiterais rendre hommage à toutes les femmes et tous les hommes qui, à travers des associations, des engagements professionnels ou personnels, soutiennent les personnes à la rue, les personnes en difficulté de paiement, les personnes expulsées. Cette proposition de loi est l’assurance de faire peser sur eux un plus grand fardeau alors même qu’elles alertent sur le manque de moyens depuis des années.
La France est maillée d’acteurs engagés, experts, volontaires qui méritent tout note soutien et notre reconnaissance, pas notre défiance, pas notre aveuglement.
Nous devons être à la hauteur de la crise qui se joue, celle qui impacte plus de 14 millions de personnes en France, celle qui va s’aggraver dans les années à venir :
- faute de logements disponibles face aux demandes :
- faute de nouvelles unités construites ou réhabilitées
- faute de ménages aux revenus suffisants pour s’offrir un loyer, un emprunt, un logement décent. (Une enquête de l’USH a récemment analysé que la moitié des organismes Hlm enregistraient une hausse de plus de 10 % du nombre de retard de loyer par rapport à l’année précédente, à la suite de l’inflation).
Parallèlement, les réformes de l’assurance-chômage, du RSA, des retraites et votre refus d’augmenter significativement le SMIC, alimentent ces situations de fragilités qui mènent à ce que vous souhaitez combattre : les impayés de loyer et les squats.
Vos argumentaires sont truffés d’exemples de petits propriétaires acculés par le coût exorbitant d’un mauvais payeur, de retraités qui ne peuvent récupérer leur maison ou de résidences squattées et détériorées. Ces situations nous choquent aussi sur les bancs de la gauche. Mais ici, il ne s’agit majoritairement pas de cela.
Quel est le pourcentage de propriétaires au pied du mur ? Quel est le pourcentage de locataires de mauvaise foi ? Je vous ai posé plusieurs fois la question en séance, sans réponse.
Ces faits sont minoritaires. Votre action s’assoit sur une réalité tronquée.
La vérité, c’est que la majorité des situations de Squat ne concerne pas le domicile. Il s’agit plutôt du squat de structures vacantes, (10 fois plus nombreuses que le nombre de SDF).
La vérité c’est que cette proposition de loi va concerner principalement les locataires en difficultés de paiement qui ne parviennent plus à joindre les deux bouts, (dans un parc immobilier où 24 % de ménages multipropriétaires possèdent deux tiers du parc de logements détenu par des ménages).
L’impact que cette proposition de loi va engendrer sur les plus précaires sans solutions, est tel que l’ensemble des associations, la défenseur des droits, la CNCDH et maintenant l’ONU sont en défaveur de ce texte.
En effet, combattre les impayés de loyers et les squats par l’augmentation des expulsions, des sanctions financières et la criminalisation des personnes est non seulement :
- inutile, puisqu’une personne insolvable ne le sera pas moins après son expulsion. (En réalité, elle le sera davantage).
- mais surtout contre-productif puisque précariser des publics déjà fragiles ne fera qu’accentuer ce que vous souhaitez combattre : squat, situations d’impayés, occupation d’espaces publics. (Il existe une altitude de la misère où la réinsertion est presque impossible.)
Par ailleurs, le texte ne permettra pas de restituer le loyer perdu au propriétaire.
En alourdissant les dettes locatives, en éloignant la sortie de la précarité pour les ménages fragiles sans que le propriétaire bailleur lésé n'en retire rien pour lui-même, cette proposition de loi porte donc une logique de punition et non de réparation !
Pourtant, il y a une multitude de solutions pour agir sur les problématiques que vous soulevez :
Pour, je vous cite, « couper court au mouvement de déport du marché locatif traditionnel vers celui des meublés de tourisme » : supprimer les niches fiscales incitant à la location courte durée ; renforcer la lutte contre des pratiques illégales connues ; donner des outils aux communes (pour limiter le déferlement de résidences secondaires).
Pour diminuer le nombre de loyers impayés : inciter à l’utilisation de la garantie VISALE, mettre en place la Garantie universelle et obligatoire des loyers.
Pour donner les moyens aux Français modestes d’être logés : lutter contre la hausse des loyers, prévoir des outils d’aide à l’accession comme celui de l’APL accession que le gouvernement a supprimé hâtivement ; ouvrir des places en logements sociaux et hébergements d’urgence.
Opter pour des moyens justes et efficaces était possible, vous n’avez pas saisi cette opportunité. Quel sera l’avenir des 100 000 personnes, en stresse financier ou en impayé de loyer à la suite de l’adoption de cette proposition de loi ? Comment l’État va-t-il gérer les conséquences de l’augmentation des expulsions ?
Pour rappel, d’après une enquête de la fondation Abbé Pierre, un à trois ans après l’expulsion, 32 % des ménages ne retrouvent pas de logements, ceux qui se sont relogés ont mis en moyenne 11 mois à y parvenir. Parmi les enquêtés, 29 % n’ont pu poursuivre leur activité professionnelle. Sans compter l’impact sur la scolarité des enfants et sur la santé physique et psychologique des personnes concernées.
Votre loi va à l’encontre des objectifs de votre plan « logement d’abord » mais aussi à l’encontre de vos propres ambitions d’insertion et de plein-emploi !
Malgré les atténuations proposées par le Sénat qui a pris le gouvernement sur sa gauche (il faut quand même le souligner), cette proposition de loi va mettre en danger des milliers de familles. Sa sévérité est disproportionnée à l’égard de personnes qui, je le rappelle, ne sont pas délinquantes dans la majorité des cas.
Ce texte ne règle pas les difficultés de logement, mais les déporte et les aggrave puisqu’il traite principalement les conséquences avant les causes.
Le groupe socialiste et apparenté ne votera donc pas cette proposition de loi.