Novembre / décembre 2023 · Commission des affaires économique / hémicycle
Discussion générale, interventions des rapporteurs, proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Chers collègues,
Est-il normal que le logement soit devenu un outil d’optimisation fiscal et de rendement maximal permettant une exonération quasi totale de l’impôt ?
Est-il normal que des locataires, en règle, soient mis hors de leurs logements pour qu’ils soient transformés en meublés de tourisme ?
Est-il normal que des soignants ou des employés territoriaux dorment dans leurs voitures ou au camping, entre les mois de juin et de septembre puisque leur appartement se trouve au même moment sur un site de location de vacances ?
Plus largement, est-il normal que des travailleurs ne soient plus en capacités de vivre là où ils travaillent, et que, des entreprises ne se développent pas ou désertent des territoires par manque de logement pour leurs salariés ?
Est-il normal que des jeunes, des moins jeunes, ne soient plus en capacité de vivre dans le lieu où ils ont grandi car la spéculation immobilière a fait exploser les prix et transforme nos villes et villages en résidence de vacances ?
Est-il normal que, dans des villes universitaires, le manque de logement étudiant soit inversement proportionnel à l’augmentation du nombre de meublés de tourisme ?
Est-il normal que se multiplient les appels à l’aide d’élus locaux qui voient disparaître chaque jour des biens en faveur de logements touristiques alors même qu’ils reçoivent un nombre croissant de sollicitations concernant l’accès au logement ?
Enfin et j’ose dire « surtout », est-il normal que l’État subventionne ce déséquilibre délétère et ainsi la crise du logement par des avantages fiscaux injustifiés et une absence de réglementation efficace ?
Voici les questions auxquelles nous avons tenté d’apporter une réponse par le biais de cette proposition de loi transpartisane.
Du Sud-Ouest à la Bretagne, du littoral à la montagne, des villes aux villages, notre texte porte un objectif commun : encadrer les meublés de tourisme et favoriser le logement permanent !
C’est un enjeu de justice sociale, de justice fiscale et de cohésion des territoires.
Car ce phénomène ne touche pas que Biarritz ou Saint Malo, Marseille ou Paris mais se propage partout jusqu’à Bourges, Orléans ou encore Caen, tant ce type d’opération est lucratif.
Durant nos auditions nous avons entendu le cri d’alarme de nombreux élus locaux, de toute tendances politiques et de tous les territoires : alors agissons !
Au lendemain du congrès des maires, ce texte entend leur permettre de pouvoir mettre en œuvre une politique du logement, juste et équilibrée, au plus près des besoins de leur population et de leur territoire.
Oui, le meublé de tourisme permet un complément de revenu pour certains, mais il participe surtout à : l’augmentation du prix des loyers pour les autres, l’impossibilité d’acheter pour les ménages de classes moyennes, l’accroissement du mal logement et la précarisation des plus fragiles. En somme, le régime actuel crée beaucoup de perdants. Et chacun peut comprendre qu’avec un plafond d’abattement fiscal à 77 700€ on se trouve assez loin du complément de revenus.
Par ailleurs, n’oublions pas que la location longue durée permet, elle aussi, un complément de revenu, et possède des garanties mises en place par le législateur : je pense à la garantie gratuite contre les loyers impayés dite Visale, je pense aussi, Monsieur le Président, à votre proposition de loi même si je n’y souscrivais pas.
Si je me place du point de vue du libéral que je ne suis pas, l’État participe à une distorsion du marché.
Pour être tout à fait clair, il ne s’agit pas ici d’interdire « Airbnb » ou de mettre en œuvre une règlementation drastique comme dans certains pays pourtant très libéraux comme récemment à New York par exemple, mais bien de trouver l’équilibre entre « activité touristique saisonnière » et « vie du territoire le reste de l’année ».
N’oublions pas que le caractère culturel exceptionnel de nos territoires est le fruit de plusieurs générations d’hommes et de femmes qui l’ont façonné et valorisé. Voir les habitants d’une commune s’en aller, c’est aussi voir disparaitre une partie de sa mémoire vivante et de son identité.
C’est aussi ces mêmes habitants permanents qui permettent la présence de services publics ou de commerces de proximité aujourd’hui menacés.
Dans certains quartiers nous constatons une éviction de ces habitants, par la montée des prix mais aussi, plus brutalement, par des pratiques abusives, comme les faux congés pour vente ou pour reprise. Par exemple, 302 procédures pour congés ont été comptabilisées au tribunal de Bayonne, c’est plus qu’à Marseille, Lyon, Toulouse, Nice et Nantes réunis ! Je regrette à ce titre que des amendements précieux, sur la taxation des transactions immobilières de mon collègue Jean-Felix Acquaviva ainsi que sur un délai de carence pour louer un logement en meublé touristique à la suite d’un congé pour reprise, aient été déclarés irrecevables par notre (cher) président particulièrement sévère, comme à son habitude.
L’intérêt économique des meublés de tourisme est un terreau pour le développement de pratiques illégales qui insécurisent gravement les locataires. Je pense notamment aux faux congés mais aussi aux baux frauduleux comme le bail mobilité utilisé abusivement afin de générer un double revenu issu de la location longue et courte durée.
Nous préfèrerons le préventif au curatif, notamment sur une thématique si importante pour la population que celle de l’habitat.
Le logement n’est pas une marchandise comme une autre et ne doit pas être traité comme tel.
C’est avec cette conviction que j’avais porté dès le mois de février, avec mon groupe, une proposition de loi en ce sens. Je me réjouis aujourd’hui que nous ayons pu travailler ensemble avec ma corapporteure Annaïg Le Meur pour déposer un texte commun et obtenir son inscription à l’ordre du jour.
Dans un premier temps, l’article 1er de la proposition de loi vise à étendre aux meublés de tourisme le diagnostic de performance énergétique et le calendrier de la décence énergétique, issus de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 et applicables au parc locatif de logements.
Nous considérons qu’il s’agit là d’une mesure de bon sens, qui doit nous permettre, sans entrer dans les débats sur le calibrage du calendrier énergétique, d’assurer l’égalité de traitement entre les différents marchés de la location. En outre, c’est un amendement qui sera utile pour lutter contre le phénomène déjà constaté des propriétaires qui prennent refuge sur le marché touristique contre les obligations énergétiques, en retirant leur bien du marché locatif.
Nous vous proposerons de faire évoluer cet article pour en simplifier et en clarifier l’application. En effet, plusieurs acteurs se sont émus de la création d’un nouveau dispositif d’autorisation qui se superposeraient aux autres dispositions qui existent déjà en matière de meublés de tourisme.
C’est la raison pour laquelle nous avons finalement décidé d’adosser le DPE au régime d’autorisation qui existe déjà dans le droit, qui est l’autorisation de changement d’usage d’un local. Nous porterons un amendement CE182 en ce sens à l’article 1er.
Dans le même temps, nous étendons de façon considérable le champ d’application de ce système d’autorisation de changement d’usage. Le système actuel est à la fois trop limitatif et trop complexe. Désormais, toutes les communes y auront accès, sans passer par une autorisation préfectorale soit d’office si elles sont classées en zone tendue, soit par une délibération motivée fondée sur la tension locative du marché local. Nous portons un amendement CE178 en ce sens à l’article 2.
Comme l’ont fait remarquer de nombreuses personnes auditionnées, il peut être contre-productif d’attendre le classement en zone tendue d’une commune, dans la mesure où ces classements prennent un certain temps à être réévalués et qu’un traitement préventif des difficultés devrait être privilégié afin d’empêcher la survenance des tensions qui occasionnent le classement.
Une telle extension nous paraît être une preuve de confiance nécessaire à faire aux élus locaux, qui nous ont montré tout au long de nos travaux préparatoires qu’ils sont demandeurs d’avoir plus d’outils à leur disposition pour traiter de ces difficultés. Ouvrir à tous ceux qui le souhaitent le régime de l’autorisation de changement d’usage signifie doter toute commune volontariste des moyens de lutter efficacement contre la transformation du parc locatif.
Dans le même sens, nous souhaitons renforcer encore l’arsenal préventif des communes. À cet effet, nous proposons un amendement CE177 à l’article 2 qui dotera les territoires de la faculté, dans le cadre du régime d’autorisation, de définir le nombre maximal d’autorisations temporaires de changement d’usage qui peuvent être délivrées dans le ressort du territoire, sur une période de cinq ans. Cette mesure, assortie d’une limitation dans la durée de cinq ans maximum, est inspirée de dispositions qui ont été mises en place à Saint-Malo, à La Rochelle ou encore à Val d’Europe, et qui ont porté leurs fruits.
En outre, nous serons favorables à de nombreux amendements de plusieurs bancs qui visent à clarifier le régime du changement d’usage pour sécuriser les maires qui en font l’application, ou à l’étendre aux personnes morales.
Ce texte ne peut résoudre à lui seul l’ampleur de la crise en cours, mais est une première initiative pour permettre concrètement et rapidement aux français de se loger.
Je vous remercie.