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Présentation du rapport d'évaluation de la loi sur la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias

Près d’un an après la création de la mission d’évaluation de l’impact de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et la pluralisme des médias par la Commission des affaires culturelles et de l’éducation et après avoir auditionné plus de 80 acteurs, j’ai, avec ma co-rapporteure, Isabelle Rauch, présidente de la Commission des affaires culturelles, présenté nos conclusions.



Je vous remercie, ma chère collègue. En effet, nous nous sommes retrouvés sur l’essentiel. Comme l’a souligné la rapporteure, notre seul désaccord portait sur la mise en place d’un droit d’agrément pour les rédactions, afin qu’elles puissent s’opposer à la nomination d’un directeur de la rédaction qui ferait courir un risque pour leur indépendance. Nous nous souvenons tous de la grave grise qui a agité la rédaction du Journal du dimanche, en lutte pour son indépendance pendant près de 6 semaines, suite à la nomination de Geoffroy Lejeune comme directeur de la rédaction. Comme en 2016 lors de la crise d’iTélé, le mouvement de grève a échoué car ces journalistes étaient démunis d’armes légales. Ils n’avaient aucun instrument à leur disposition, pas même la clause de conscience, puisqu’aucun changement dans la ligne éditoriale ne pouvait encore être observé. L’introduction dans la loi de la possibilité pour les rédactions de s’opposer à une nomination ayant des conséquences directes sur le contenu du journal est réclamée par plusieurs médias, organisations et associations, notamment celles qui ont participé aux états généraux de la presse indépendante. La liberté d’entreprendre et la liberté des médias ont la même valeur constitutionnelle et il ne s’agit pas d’abolir la première au profit de la seconde, mais de rétablir un certain équilibre entre elles. L’actionnaire d’une entreprise de presse ne peut pas tout se permettre et piétiner l’avis de la quasi-totalité d’une rédaction, passer en force, au mépris de l’identité d’un journal et du travail de ceux qui l’animent. Je dirai plutôt qu’il ne devrait pas le pouvoir car, dans le silence de la loi, c’est bien la volonté de l’actionnaire qui prime et impose ses vues. Cette mesure me semble pleinement légitime, attendue, et le Parlement, en l’adoptant, démontrerait qu’il se tient aux côtés de la presse pour renforcer l’indépendance de l’information. Ce faisant, je ne pense pas que le législateur méconnaîtrait la Constitution, puisqu’il lui appartient de concilier l’exercice des droits et libertés garantis par notre loi fondamentale. Or l’indépendance des médias a été consacrée par le Conseil constitutionnel, en 2009, comme un objectif de valeur constitutionnelle. Je sais que ce droit nouveau ne fait pas l’unanimité parmi vous et que des discussions complémentaires seront nécessaires pour en circonscrire les modalités et les conditions d’exercice. Une majorité qualifiée de journalistes pourrait par exemple être retenue pour faire obstacle à la nomination d’un directeur de la rédaction. J’espère que nous aurons bientôt l’opportunité de discuter de cette mesure après les états généraux de l’information, dont beaucoup de propositions relèveront, à l’évidence, du domaine de la loi.


Sans transition, j’aborde les problématiques liées à l’audiovisuel. Les missions du CSA, devenue l’Arcom, ont été étendues à la garantie des principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information et des programmes, qui ont été consacrés à l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986. Leur non-respect peut être sanctionné par le régulateur, qui doit veiller à ce que les conventions conclues avec les éditeurs privés utilisant les ressources hertziennes intègrent les mesures à mettre en œuvre pour garantir le respect de ces principes. Par ailleurs, depuis l’adoption de la loi Bloche, la loi de 1986 prévoit que le renouvellement ou la reconduction simplifiée de l’autorisation d’émettre des chaînes sont conditionnés au respect des principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information.


Sur le fondement de ces dispositions, le CSA a adopté en avril 2018 une délibération relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent, qui vient préciser la portée des obligations que les éditeurs de services audiovisuels doivent respecter. Je n’ai pas le temps de revenir en détail sur les dispositions de cette délibération, qui sont présentées dans le rapport d’information qui vous a été envoyé lundi soir.


La rapporteure et moi-même regrettons que les interventions de l’Arcom, sur le fondement de cette délibération, se soient limitées, dans la très grande majorité des cas, à des mises en garde ou des mises en demeure, qui précèdent toujours les sanctions. Seulement deux sanctions ont été prononcées sur le fondement de la délibération de 2018, toutes deux à l’encontre de l’éditeur de la chaîne CNews. En avril 2022, une sanction à hauteur d’un euro a été prononcée à l’encontre de CNews, en raison de propos contestables relatifs aux origines du ghetto de Varsovie. Une seconde sanction a été prononcée en janvier 2024 à hauteur de 50 000 euros, suite à la diffusion sur la chaîne d’un pseudo classement des villes internationales les plus sûres, particulièrement biaisé.


Nous avons salué cette sanction dans notre rapport, dans la mesure où CNews, mais également C8, ont été mis en garde et mis en demeure à plusieurs reprises de respecter leurs obligations législatives et conventionnelles. Pour autant, nous avons tous deux regretté l’excessive prudence de l’Arcom dans ses interventions, qui a conduit le Conseil d’Etat, dans une récente décision qui a été abondamment commentée sur les plateaux, à lui rappeler l’esprit et la lettre de la loi.


La loi du 30 septembre 1986, qui est une grande loi de liberté et doit le rester, est claire : l’article 13 dispose que l’Arcom « assure le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale ». Tous les programmes sont visés, y compris les débats télévisés, et rien n’autorise un service consacré à l’information à se transformer en chaîne d’opinion pour soutenir telle opinion plutôt que telle autre, contrairement à un titre de presse écrite, où c’est le pluralisme externe qui prévaut. Les mutations technologiques dans la diffusion de l’information sont de plus en plus rapides et dans 15 ans, la TNT ne sera peut-être plus qu’un lointain souvenir, ; nul ne peut prédire l’avenir. Il n’en demeure pas moins qu’à ce jour, les éditeurs privés utilisent des ressources publiques entretenues par l’Etat, et qu’ils doivent, en contrepartie, respecter certaines obligations. En particulier, il n’est écrit nulle part dans la loi que l’exigence de pluralité des points de vue ne doit s’apprécier qu’au regard du temps de parole des seules personnalités politiques. Il s’agit là d’une mauvaise interprétation de la loi, ce que le Conseil d’Etat a relevé dans sa décision du 13 février. Il appartient désormais à l’Arcom de réexaminer la demande qu’avait formulée Reporters sans frontières, tendant à la mise en demeure de la chaîne CNews de respecter ses obligations en matière d’honnêteté et d’indépendance dans le traitement de l’information, ainsi qu’en matière de pluralisme de l’information. Surtout, il appartiendra à l’Arcom de veiller à ce que les chaînes garantissent, dans le respect de leur liberté éditoriale, l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinions en tenant compte des interventions de l’ensemble des participants aux programmes, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités.


Il est encore trop tôt pour se prononcer sur les nouvelles modalités de garantie du pluralisme de l’information, puisque l’Arcom dispose d’un délai de 6 mois pour les définir. Cependant, je pense que nous pouvons d’ores et déjà écarter certains fantasmes qui se sont répandus sur certains plateaux télévisés comme une trainée de poudre. Il ne s’agira nullement de « ficher » les intervenants, mais simplement de garantir l’expression de la contradiction, d’opinions diverses, pendant les débats, qui permettront au téléspectateur de se former une opinion de façon éclairée, sans être inondé de propos allant tous dans le même sens, sans nuance. Sans cela, le risque est que chacun s’enferme dans « son » média, comme sur les réseaux sociaux où de nombreux utilisateurs sont abreuvés de contenus les confortant dans leurs opinions, sans jamais les bousculer. La raison d’être des médias traditionnels devrait être tout le contraire ! Les chaînes d’information devraient permettre d’instiller le doute dans l’esprit du téléspectateur, de lui faire appréhender la complexité d’un sujet d’actualité, le caractère équivoque d’une information, donner la possibilité de changer d’avis après avoir entendu toutes les opinions en présence : c’est comme cela que se forge un esprit critique digne de ce nom.

Le débat sur le pluralisme de l’information est loin d’être achevé, nous aurons à en discuter de nouveau après la définition par l’Arcom des nouvelles modalités de garantie du pluralisme. A ce stade, l’intervention du législateur ne nous paraît pas nécessaire, si le régulateur se montre ambitieux et revient à la lettre de la loi de 1986.


Enfin, je souhaiterais dire un mot de la procédure de sanction de l’Arcom, encadrée par la loi de 1986 et qui nous semble particulièrement lourde et complexe. Cette lourdeur tient en premier lieu au fait que l’Arcom ne peut prononcer des sanctions qu’après avoir mis en demeure les éditeurs. Nous développons un exemple éclairant dans le rapport : en 2023, l’Arcom a prononcé une mise en demeure à l’encontre de la chaîne C8, suite à la violation de l’article 4 de la délibération de 2018. Un an plus tôt, C8 avait été mis en demeure du fait d’un manquement aux dispositions des articles 1er et 3 de la délibération. Dans les deux cas, la société C8 avait violé la délibération de 2018. L’Arcom aurait-elle pu sanctionner la chaîne dans le second cas ? Ses sanctions sont prononcées sous le contrôle du Conseil d’Etat, qui veille strictement au respect de la liberté de l’information. C’est pourquoi nous pensons qu’il serait sage d’inscrire dans la loi de 1986 la possibilité pour le régulateur – voire l’obligation en ce qui me concerne –, de prononcer une sanction à l’encontre d’un éditeur en cas de manquement à l’une de ses obligations déontologiques, si cet éditeur a déjà été mis en demeure pour un manquement à une autre de ses obligations déontologiques.


Deuxièmement, il nous paraît nécessaire d’accélérer et de simplifier la procédure de sanction, qui peut être très longue et qui échappe en partie à l’Arcom, puisqu’il appartient à un rapporteur indépendant, nommé par le vice-président du Conseil d’Etat, de se saisir des faits susceptibles de justifier l’engagement d’une procédure de sanction, de conduire l’instruction et de proposer à l’Arcom, le cas échéant, de prononcer une sanction. L’ancien président du CSA, Olivier Schrameck, a sévèrement critiqué cette procédure pendant son audition, notamment les pouvoirs excessifs du rapporteur. De fait, la procédure peut être très longue et l’Arcom ne s’est pas distinguée par sa sévérité. Dans ces conditions, nous souhaitons que l’Inspection générale des affaires culturelles soit saisie d’une mission d’évaluation de la procédure de sanction, afin qu’elle puisse proposer des solutions tendant à son accélération et sa simplification.


Outre des dispositions relatives à la régulation du secteur audiovisuel, le titre Ier de la loi Bloche comportait également des mesures relatives à l’autorégulation des sociétés audiovisuelles. Les articles 11 et 12 de la loi ont ainsi prévu l’obligation, pour tout service de radio généraliste à vocation nationale ou de télévision qui diffuse, par voie hertzienne terrestre, des émissions d’information politique et générale, de se doter d’un comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent : les CHIPIP. Ces comités d’éthique sont chargés de contribuer au respect des principes consacrés par la loi Bloche et peuvent être saisis ou consultés à tout moment par les organes dirigeants du service audiovisuel, par le Médiateur des programmes lorsqu’il existe ou par toute personne. Il doit informer l’Arcom de tout fait susceptible de contrevenir à ces principes et établit un bilan annuel, rendu public. Les comités d’éthique doivent être composés de personnalités indépendantes et leurs modalités de fonctionnement sont fixées par la convention conclue avec l’Arcom – pour les éditeurs privés – et par le cahier des charges – pour les sociétés nationales de programmes.


Nous avons relevé plusieurs dysfonctionnements et voies d’amélioration. En premier lieu, les modalités de nomination des membres des comités d’éthique n’apparaissent pas satisfaisantes. M. Schrameck est notamment revenu sur la nomination d’un membre du comité d’éthique du groupe Canal Plus, à laquelle il avait souhaité faire obstacle à l’époque, en raison des liens d’amitié entre cette personne et l’actionnaire principal de Vivendi, M. Bolloré. En l’espèce, la difficulté consistait en l’absence totale de droit de regard de l’Arcom sur la désignation des membres de ces comités, les nominations étant entièrement à la main des groupes, comme l’a observé l’actuel président de l’Arcom. Selon M. Maistre, le régulateur pourrait donner un avis sur les propositions de nomination ou nommer directement des groupes. Pour notre part, nous proposons la nomination des membres des comités d’éthique sur avis conforme de l’Arcom. Cela permettrait de responsabiliser les éditeurs et garantirait la désignation de personnalités indépendantes en toutes circonstances.


Par ailleurs, nous avons observé un grave déficit de visibilité des comités, ce qui les empêche de fonctionner correctement et d’exercer pleinement leurs missions. Par exemple, nous nous sommes étonnés que la composition des comités d’éthique ne soit pas systématiquement publiée sur le site internet des éditeurs. Cette situation nous semble contraire au principe élémentaire de transparence qui devrait prévaloir et nous proposons que le principe de cette publication soit inscrit dans la loi, d’une part, et qu’un mécanisme de saisine des comités d’éthique, facilement accessible et simple d’utilisation, soit mis en place sur l’ensemble des sites internet des sociétés audiovisuelles, d’autre part. En deuxième lieu, nous regrettons la faible notoriété des comités d’éthique. Ce manque de visibilité est déploré par les membres des comités d’éthique eux-mêmes et certains, ont lancé, en concertation avec les organes dirigeants de leur groupe, une réflexion visant à faire connaître leur activité auprès du grand public. C’est notamment le cas du comité d’éthique de Radio France. Ce manque de visibilité explique en partie le caractère assez faible de l’activité des comités d’éthique. En 2022, seul le comité d’éthique de Radio France a rendu plus de 5 avis sur des saisines. Quatre comités n’ont rendu aucun avis, deux comités en ont rendu 2 et un comité a rendu un seul avis. Pour remédier à ce déficit de visibilité, nous proposons une institutionnalisation de temps d’échange entre les organes dirigeants des groupes audiovisuels et les comités d’éthique. Par exemple, le principe de la participation, chaque année, du comité d’éthique à au moins un conseil d’administration de son groupe audiovisuel pourrait être inscrit dans la loi de 1986. Enfin, nous souhaitons encourager les groupes audiovisuels à œuvrer en faveur de la visibilité de leur comité d’éthique. Nous avons été surpris de constater qu’à Radio France, par exemple, les membres du comité d’éthique ne passaient pas à l’antenne, contrairement à la médiatrice des antennes, qui intervient régulièrement. Or quel meilleur moyen de faire connaître les comités d’éthique qu’en leur donnant la possibilité de présenter eux-mêmes leur activité aux téléspectateurs et aux auditeurs ? Il est regrettable que les groupes n’aient pas appliqué d’eux-mêmes cette solution, qui nous paraît la plus appropriée. Par conséquent, nous proposons d’inscrire dans la loi de 1986 que les conventions conclues avec l’Arcom déterminent les modalités de visibilité appropriée des comités d’éthique, notamment via des passages réguliers à l’antenne. La même obligation devrait être prévue dans le cahier des charges des sociétés de l’audiovisuel public.


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